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France : une situation profondément instable...

Après le mouvement social massif contre la réforme des retraites suivi de la révolte des quartiers populaires, nous attendions de voir quel serait le climat de la rentrée sociale en France. Manifestement, il n’y a pas de continuité qui s’établisse par-dessus les vacances, et le mouvement syndical peine à relancer la contestation. Le gouvernement, de son côté, tente de reprendre la main avec une série d’offensives sur tous les fronts. Mais c’est l’explosion de la situation en Palestine qui est venue percuter l’attentisme qui marquait cet automne.

Elle est le marqueur d’une situation internationale très instable, dans laquelle les grands équilibres issus du XXe siècle ne sont plus viables. C’est le temps des affrontements, des guerres dans un contexte de profond recul de la lutte des classes à l’échelle internationale et de crises multiples du capitalisme. Cet article cherche à mettre en avant quelques éléments pour essayer de comprendre comment cela se décline en France…

Dans un premier temps, on pouvait penser que la question de l’inflation, avec l’augmentation des prix d’un certain nombre de produits essentiels, serait le marqueur de la rentrée. Le prix des carburants notamment dépasse largement ce qu’il était lorsque le mouvement des Gilets jaunes a explosé. Le mouvement social ayant repris des forces dans la bataille des retraites, on pouvait imaginer que les luttes sur les salaires allaient structurer la rentrée. Des batailles locales et partielles ont effectivement eu lieu dans quelques entreprises, mais malheureusement, pas d’une ampleur suffisante pour servir de point de ralliement ou agréger autour d’un symbole. La journée de mobilisation du 13 octobre était très faible numériquement tant en termes de grève que de manifestantEs.

Une situation économique qui s’assombrit

La situation économique n’est pas très rassurante et pèse probablement sur les exigences que le monde du travail pourrait avancer. La crise économique s’accélère dans le monde, et les réponses capitalistes ne parviennent pas à la juguler. Les taux d’intérêt élevés vont limiter l’investissement et continuer à ralentir l’économie. Une contraction du PIB est en cours au Royaume-Uni (- 0,5 % en juillet), en Allemagne (- 0,4 % prévu en 2023) et celui de l’Union européenne a aussi baissé sur deux trimestres consécutifs, tandis que le PIB de la Chine se limite à + 3,5 %. La situation économique reste incertaine mais les indicateurs annoncent une récession1. De plus, « la dette publique mondiale a doublé en 11 ans. Elle a progressé de près de 8 % l’an dernier – à taux de change constants – pour atteindre le montant record de 66 200 milliards de dollars »2.

En parallèle, la situation de l’emploi se dégrade, les chiffres officiels en France étant faussés par le fait qu’un tiers des créations d’emploi sont réalisées par l’apprentissage, dont les salaires sont pris en charge par l’État (100 % avant 21 ans, 80 % entre 21 et 25 ans), pour un montant de 20 milliards d’euros par an. En réalité, le nombre d’inscrits à Pôle emploi est passé de moins de 4 millions en 2008 à plus de 6 millions aujourd’hui.

Une crise écologique et énergétique omniprésente

Bien que le réchauffement climatique ne soit pas réellement la préoccupation des dirigeantEs de ce monde, le poids de la crise écologique et énergétique se fait sentir. Les conséquences du dérèglement du climat pèsent à l’échelle mondiale, les prix des énergies s’envolent, l’accès à l’eau pour les industries devient critique et en particulier pour ce qui concerne le refroidissement du parc nucléaire français… À cela s’ajoute une contestation des grands projets inutiles et nuisibles qui ne laisse pas de répit au gouvernement. La raréfaction des énergies fossiles impose au capitalisme une réorganisation des approvisionnements qui participe de l’instabilité mondiale globale et inversement l’instabilité oblige à des réorganisations, comme on a pu le voir avec le gaz et la guerre en Ukraine.

Un gouvernement profondément illégitime

Les sifflets qui ont accueilli Macron à l’ouverture de la coupe du monde de rugby montrent à quel point la colère contre ce pouvoir est profonde et populaire. En parallèle, celui-ci peine à structurer ses troupes, à consolider ses structures. Le recours répété au 49.3, en particulier pour passer la réforme des retraites, a éclairci le rôle des institutions et les possibilités de peser à travers elles pour une partie significative de la population. Le gouvernement peut, certes, passer une série de réformes sans résistance mais la légitimité du pouvoir en place est considérablement entamée et bien au-delà d’un aspect conjoncturel de ce gouvernement-là. L’avancée à marche forcée, contre les populations, pour les jeux Olympiques en est un autre symptôme. Tout est à dénoncer dans ce grand projet inutile et nuisible aussi bien socialement qu’écologiquement : les conditions et les accidents de travail sur les chantiers, l’expulsion des populations pauvres et la gentrification des territoires, l’augmentation des loyers… En revanche, ce qui se porte bien, ce sont les profits des entreprises du BTP (Bouygues, Vinci, Eiffage) mais aussi celles des transports ou celles qui gèrent les services des zones urbaines (Veolia, Suez, Engie, Transdev, Thales, Alstom…).

L’islamophobie : contre-attaque du gouvernement

C’est malheureusement devenu un classique ces dernières années : les gouvernements mis en difficulté sur le terrain social tentent de diviser et de détourner l’attention en agitant la « menace islamiste », le « danger terroriste ». C’est encore une fois ce qui a été tenté par Macron avec la rentrée sur l’abaya. Après le mouvement social sur les retraites, suivi de la révolte des quartiers populaires, il a cherché à masquer les difficultés de la rentrée, concernant les conditions matérielles de la rentrée scolaire mais aussi économiques pour toute une partie de la population gravement confrontée à l’inflation. En allant sur le terrain raciste et islamophobe, il mène une bataille aux côtés de l’extrême droite, de manière totalement decomplexée. Le traitement médiatique de la situation en Palestine ou l’instrumentalisation de l’attaque qui a eu lieu au lycée d’Arras, entraînant la mort d’un enseignant, vont dans le même sens, celui de la stigmatisation des musulmanEs ou celleux supposéEs l’être. Les violences policières se sont propagées contre l’ensemble des resistances sociales, des Gilets jaunes aux syndicalistes, mais continuent de s’exercer principalement contre les personnes racisées, les jeunes des quartiers populaires. Depuis la loi qui a assoupli les règles d’utilisation des armes par la police, le nombre de personnes tuées a significativement augmenté avec un pic de 52 morts en 20213.

Accélération de la dérive autoritaire

Dans leur course aux profits, le gouvernement et la bourgeoisie passent au forceps un certain nombre de réformes : assurance chômage, retraites, etc. mais ils n’ignorent pas la fragilité de leurs positions. Le gouvernement concurrence la droite et l’extrême droite et cherche à se consolider dans cette direction pour faire face aux résistances populaires. Il continue à accumuler les évolutions législatives qui pourraient lui permettre un basculement ultra rapide vers un État beaucoup plus autoritaire et coercitif encore qu’il ne l’est aujourd’hui.

L’appel à l’unité nationale par Macron dans le contexte de guerre en Palestine vise à rendre illégitime toute position de solidarité et plus largement toute critique de la politique du gouvernement. L’interdiction des manifestations est traditionnellement rare (guerre d’Algérie, guerre du Golfe, Palestine en 2014) et les directives de Darmanin en ce sens ces derniers jours doivent gravement nous inquiéter : un nouveau cap est franchi dans la mise en cause des droits démocratiques élémentaires, ici, en France. Le plan Vigipirate a été rehaussé au niveau « urgence attentat », qui est le niveau maximum.

Contrairement à la grenouille qui se trouve dans de l’eau qui chauffe progressivement, il faut prendre la mesure de la dérive autoritaire avant qu’il ne soit trop tard.

L’extrême droite en embuscade

L’extrême droite n’est pas en reste : elle bénéficie de ce climat favorable au développement de ses idées, un climat facilitant les passages à l’acte. Elle cherche à se mettre en ordre de bataille malgré ses divisions pour les européennes et pour se proposer comme réponse aux éléments de fragilité du pouvoir. L’activité des groupuscules fascisants, confortée par les positions conquises par l’extrême droite, la visibilité d’un Zemmour et la politique nauséabonde du gouvernement constituent une menace directe pour les militantEs antifascistes et les mouvements sociaux. Les forces de l’ordre, police en tête, sont gangrenées par l’idéologie d’extrême droite. La prise de pouvoir de ce courant dans une série de titres de presse fait partie de l’arsenal qu’il est maintenant en capacité d’utiliser pour mener des campagnes politiques et il ne s’en prive pas. Ces éléments contribuent à la possibilité d’un recours rapide à une sorte de « fascisme du XXIe siècle ».

Éclatement de la gauche

L’approche des élections européennes l’avait déjà fait voler en morceaux. Les divisions sur ce sujet correspondent à des rapports différents à l’appareil d’État et aux luttes : PS, PCF et EELV veulent jouer leur carte, très institutionnelle ; LFI maintient une orientation plus combative, tant sur le rapport à l’UE qu’aux luttes et aux colères des classes populaires, qui ne sont pas solubles dans les institutions. Le conflit en Palestine a achevé la désagrégation de la NUPES.

Les désaccords au sein de la gauche sur la caractérisation des différentes organisations dans le cadre de mouvements de libération ou la responsabilité première de l’oppresseur, de l’occupant, ne sont pas de nouveaux débats. Mais le contexte médiatique et le positionnement de criminalisation du gouvernement exacerbent les désaccords et leurs conséquences. Au sein même de LFI des différenciations apparaissent et l’absence de cadre de discussion démocratique pour les résoudre catapulte le débat sur la scène médiatique qui se régale de pointer des conflits de personnes plutôt que d’éclairer les débats. La guerre en Palestine met en lumière un clivage entre une gauche institutionnelle et une autre, même réformiste, qui se place, parfois à son corps défendant, du côté des oppriméEs.

Dans le champ syndical, les organisations sont comme paralysées et peinent à s’inscrire dans le mouvement de solidarité. Ce recul est peut-être encore plus qu’ailleurs lié à la perte de repères politiques au sein des organisations syndicales. La logique de recherche de l’unité et la volonté de ne pas se retrouver isolé dans un contexte très hostile pèsent également. L’appel des organisations syndicales palestiniennes devrait à minima être relayé et circuler dans le milieu militant.

Construire des fronts larges pour résister !

En cette rentrée, le retour de bâton après la mobilisation pour les retraites et la révolte des quartiers populaires est pour le moins violent. Une part des militantEs est assommée par les défaites et la contre-offensive du pouvoir. Pour faire face, nous devons mettre en route des réflexes de défense de notre classe qui reposent sur de larges fronts de résistance. Résistances face à l’inflation, aux prix qui augmentent, à la misère qui s’étend : il s’agit d’éviter de revivre le clivage entre Gilets jaunes et mouvement syndical que nous avions connu en 2018-2019, en nous appuyant sur les convergences construites depuis. Nous pouvons en particulier mettre en lumière le caractère antidémocratique du passage du budget : Élisabeth Borne a dégainé une première fois le 49-3, et pourrait le faire encore une dizaine de fois dans les prochaines semaines !

Sur le terrain de la résistance face aux attaques racistes et islamophobes et aux violences policières nous sommes clairement en difficulté comme on l’a vu au moment de la révolte des quartiers populaires qui est restée très isolée même si le positionnement des organisations du mouvement ouvrier était nettement plus solidaire qu’en 2005. Contre le contrôle des vêtements des filles dans les établissements scolaires, contre les contrôles de police au faciès, contre les violences policières… nous pouvons organiser des cadres larges qui participent à reconstruire l’unité de notre classe sociale, à contre-pied de l’idéologie nauséabonde de l’extrême droite largement reprise par la droite et le gouvernement.

Résistances sur le terrain de la solidarité internationale, avec le peuple ukrainien, avec le peuple arménien et évidemment avec le peuple palestinien. Au-delà de l’appréciation que nous portons sur les gouvernements ou les mouvements qui dirigent dans ces pays, nous devons travailler à construire des fronts très larges, sur des revendications minimales pour peser de manière urgente sur la situation humanitaire. Cela ne nous empêche pas de défendre le droit à l’autodétermination des peuples et de défendre y compris la lutte armée face à l’occupant. Il y a un enjeu considérable à construire une mobilisation par en bas : si la tradition de solidarité avec le peuple palestinien a reculé, y compris dans les organisations liées à la CGT et au PCF, l’offensive politique du pouvoir sur ce terrain est sans doute décalée par rapport à la réalité du rapport de force dans les classes populaires.

Résistances face à l’offensive autoritaire, anti-démocratique : l’interdiction des manifestations, les menaces de plaintes pour apologie du terrorisme, la remise en place du niveau le plus haut du plan Vigipirate… en plus de toutes les lois sécuritaires votées ces dernières années, sont des signaux d’alerte graves et devraient susciter une réponse extrêmement large en défense des libertés démocratiques. Paralysée par ses désaccords, la gauche n’arrive pour l’instant pas à les dépasser pour défendre des revendications de base sur le droit de manifester, de s’exprimer… C’était une urgence de rassembler autour d’un appel pour construire une contre-offensive politique et c’est ce que nous avons initié4.

D’autres échéances de mobilisations s’appuient d’ores et déjà sur des cadres unitaires : la Déroute des routes sur les questions écologiques, le 25 novembre contre les violences faites aux femmes… Sur ces questions, l’enjeu aujourd’hui est à la structuration et à la pérennisation de ces cadres.

Écosocialisme ou barbarie

Malheureusement les dernières semaines ont encore démontré la brûlante actualité de cette alternative. En parallèle du travail unitaire, sur chacun des thèmes évoqués ci-dessus, ce que nous portons en tant qu’organisation révolutionnaire apparaît à une échelle de plus en plus large comme la seule perspective « raisonnable ». En Palestine, passé l’émotion légitime suite aux crimes de guerre du Hamas, la solidarité avec le peuple palestinien, y compris lorsqu’il prend les armes face à l’État d’Israël, rencontre un large écho. En France, l’affrontement, y compris physique, avec le pouvoir, le patronat et le gouvernement s’est ancré au fil des mobilisations des Gilets jaunes, écologiques, syndicales et des quartiers. La légitimité des institutions est affaiblie. Évidemment le risque est grand que, dans ce contexte, la bourgeoisie se saisisse de l’extrême droite pour conserver le pouvoir. Mais les jeux ne sont pas faits. Pour s’opposer à cette montée en puissance autoritaire et réactionnaire, il nous faudra la force du nombre et la détermination politique au sens de la volonté d’aller jusqu’au bout du combat. Ce sont les révolutionnaires qui doivent exprimer et formuler cette alternative, ses repères idéologiques, ses revendications et ses perspectives politiques. Le NPA occupe une place particulière, à la fois partie prenante du mouvement social large et à la fois clair dans sa perspective stratégique. Cela nous donne des possibilités et des responsabilités qui dépassent la réalité de notre surface militante. Il faut l’assumer mais surtout chercher à résorber cet écart en construisant une force politique révolutionnaire, unitaire à la hauteur des enjeux de la période.

Elsa Collonges

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